Câest certainement parce quâil épousait parfaitement les contradictions de son temps que son verdict sur lâHistoire de Shôwa bénéficia dâune audience importante. Ils pointent du doigt les résidus féodaux au sein de lâinfrastructure de lâÃtat-nation pour expliquer la crise de la démocratie dans le Japon de lâère Shôwa, au premier rang desquels lâarmée et sa dévotion unique à lâempereur plutôt quâà la nation elle-même. 28Le débat revêt aussi une importance historique par ses angles morts et les présupposés qui le sous-tendent. Se plaçant dâun point de vue résolument littéraire, il reproche aux auteurs de nâavoir pas su transmettre la complexité psychologique des acteurs. Hostiles à cet exposé trop radical, Kamei tente de saper les bases de ses accusations et du tableau quâil révèle des responsabilités de guerre. Il ne sâagit pas de pointer ses limites pour insister sur un éventuel particularisme japonais, puisquâun tel constat pourrait sâappliquer aux histoires nationales rédigées dans tous les Ãtats-nations de cette époque. La seconde raison est le prestige idéologique du communisme au lendemain de la guerre. 2Ãcrire lâhistoire nationale dans le Japon de lâimmédiat après-guerre. Pour le détail de lâévolution idéologique de Kamei, voir Kevin Michael Doak, Dreams of difference : the Japan romantic school and the crisis of modernity, University of California press, 1994. 5 Shôwashi ni yoseru koe »(Nous aussi, nous lâavons vécu ; Avis concernant lâHistoire de Shôwa), Toshô Shinbun, 10 décembre 1955. Le terme même de démocratisation est ici repris à leur compte par ces historiens, pour lui donner un sens plus radical que celui conçu par lâoccupant américain. Le but affiché était de participer pleinement au nouveau projet démocratique. Si le verdict du procès de Nuremberg finit par s’imposer dans l’Allemagne de l’après-guerre, au Japon, en revanche, celui du procès de Tôkyô fut rejeté en bloc par une partie de la droite conservatrice qui le considérait comme injuste et arbitraire, et c’est la thèse du … On assiste plutôt à des tentatives de déstabilisation, de délégitimation de la recherche historique scientifique, et surtout à une politique visant à limiter lâimpact de la recherche historique la plus récente sur lâhistoire enseignée plus largement à lâensemble des Japonais. BDIC [Recueil. Certaines de ces critiques sont restées tout aussi célèbres que lâouvrage lui-même. 1946 – 1949] Cote : F° ∆ rés 874 Restrictions d'accès Les documents personnels du juge Henri Bernard, classés sous la cote F ∆ rés 874/15/1-5, sont consultables sur l’autorisation préalable de la direction de la BDIC. Cela se traduit dans les faits par le phénomène dit des red purges, licenciements visant à expurger lâadministration japonaise de supposés « communistes », par le rétablissement dâune armée avec la création des forces dâauto-défense, malgré la Constitution pacifiste adoptée par le pays en 1946, et enfin par la libération sur parole de plusieurs condamnés des procès de Tôkyô, qui pour certains réintègrent très vite des fonctions au plus haut niveau : câest le cas par exemple de Mamoru Shigemitsu6 qui, libéré dès 1950, redevient quatre ans plus tard, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Ichirô Hatoyama. Câest selon lui une autre raison qui empêche la dimension humaine dâémerger de ce récit historique. Imparfaits procès de Tokyo Après Nuremberg, des procès moins connus de criminels de guerre Au tribunal de Tokyo, l'accusation exposait en détail, … Jâai enfin pu comprendre que câest pour cette raison précise que nous avons vécu tous ces malheurs15. Tristan Brunet, « Le procès de Tôkyô et le débat sur lâHistoire de Shôwa », Droit et cultures [En ligne], 58 | 2009-2, mis en ligne le 06 juillet 2010, consulté le 28 décembre 2020. Posted by Mickaël BERTRAND in Uncategorized ≈ Poster un commentaire. En premier lieu, les auteurs soulignent le retour de la guerre comme moteur des évolutions politiques du pays depuis le début des années 1950. 31Moins dâune dizaine dâannée après le procès de Tôkyô, le débat autour de lâHistoire de Shôwa fait donc entrevoir une autre strate dans lâanalyse des responsabilités de guerre japonaises. Pour la première fois, une sanction judiciaire internationale des crimes contre la paix, des crimes de guerre et de la nouvelle catégorie des crimes contre l'humanité e […] 4 Le peuple de cette nation nâest-il pas dans ce cas précis le coupable de cette tragédie ? Pour y répondre, les auteurs insistent dans leurs analyses sur trois points principaux : les limites de la démocratie dans le système impérial, lâimpérialisme japonais et son lien avec les intérêts des capitalistes japonais, et enfin le parallèle entre la situation dâavant-guerre et la situation dâaprès-guerre. 22Dans sa réponse à Kamei, Tôyama Shigeki soulignera cette ambigüité20. LâHistoire de Shôwa1, publiée en 1955 par les historiens Tôyama Shigeki (1914-), Fujiwara Akira (1922-2003) et Imai Seiichi (1924-), synthétise les analyses dâune grande partie des historiens académiques sur la marche vers la guerre du pays et lâimmédiat après-guerre. Mais un aperçu de ce débat permet dâentrevoir les fissures que tenteront par la suite de combler les intellectuels japonais dans leur réévaluation des responsabilités de guerre. À droite les huits juges qui composent le Tribunal, deux pour chaque nation alliée. 19  Tôyama Shigeki, « Gendaishi kenkyû no mondaiten â Showashi no hihan ni kanren shite » (Le problème de la recherche en histoire contemporaine - Au sujet des critiques sur Lâhistoire de Showa), Chuô Kôron, juin 1956. Les auteurs présentent par conséquent le Parti communiste japonais et sa lutte contre la classe dirigeante, malgré lâillégalité dans laquelle il est cantonné depuis sa création en 1922, comme le principal défenseur de la démocratie et de la « nation » contre une classe au pouvoir toujours plus soudée derrière la défense des intérêts du capital. Mais il se garde bien dâen faire mention, alors quâil eut été intéressant dâeffectuer le retour sur soi pour mobiliser le point de vue personnalisé et subjectif quâautorise la démarche littéraire. Sur cette histoire, cf. Paradoxalement, câest aussi le volet de leur accusation spécifiquement consacréà lâempereur qui sâatténue avec la disparition du procès. « TOKYO PROCÈS DE » est également traité dans : Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des tribunaux internationaux ad hoc furent chargés de juger les grands criminels de guerre. Article réservé aux abonnés Greg Kelly, ex-bras droit de Carlos Ghosn chez Nissan, à son arrivée au tribunal de Tokyo, mardi 15 septembre. Ils vont aussi apporter dans cette nouvelle édition un soin tout particulier à analyser le rôle des médias et des outils de propagande que le régime militariste a mis en branle pour rallier la partie la plus large de la nation à son projet militaire. Il dresse à son tour un parallèle entre les tentatives des conservateurs au pouvoir pour réaffirmer leur emprise sur lâhistoire enseignée, et donc de circonscrire lâinfluence de lâhistoire universitaire, et les soupçons idéologiques que fait peser Kamei sur lâouvrage afin de saper sa légitimité sans aucune considération pour sa valeur scientifique. Les procès de Nuremberg (20 novembre 1945-1 octobre 1946) et de Tokyo (3 mai 1946-24 novembre 1948) constituent la première tentative d'e formation d'un droit pénal international. trisa.brunet@gmail.com. 10Câest dans ces circonstances quâest publiée en 1955 lâHistoire de Shôwa. Procès mal conçu, mal conduit, incohérent voire truqué dès l’origine dans le choix des accusés (aucun industriel ou financier, par exemple) et bâclé dans ses conclusions, le procès de Tokyo n’a, du coup, pas obligé le Japon à purger définitivement son passé. Six mois après le début du procès de Nuremberg, le 3 mai 1946, s’ouvre le procès de Tokyo qui va juger les crimes commis en Extrême-Orient. Le degré de « démocratisation » du pays est évalué en fonction du nombre de mouvements sociaux, et le retour dâune syndicalisation effective au lendemain de la guerre est salué dans lâouvrage sous le titre « La nation se relève »11. Élargissez votre recherche dans Universalis. Les auteurs ont cherché notamment à se substituer à la mission historique du procès de Tôkyô quâils estiment avoir été impunément avorté. Les procès de Tôkyô et de La Haye, Le procès de Tôkyô et le débat sur lâ, « Le procès de Tôkyô et le débat sur lâ, De lâémancipation à la justice environnementale, La vie des personnes LGBT en dehors des grandes villes, La fin de vie. 5Le second élément marquant est la place prépondérante prise par lâhistoriographie marxiste dans les années dâaprès-guerre. Les auteurs semblent ainsi sanctionner une sortie pure et simple de lâhistoire pour un procès qui nâa pas su faire sens, et renforce lâidée que la narration même de lâhistoire nationale dans lâHistoire de Shôwa se substitue à la vocation historique supposée du procès. Le 2 septembre 1945, la reddition officielle du Japon était signée sur le cuirassé Missouri ancré dans la baie de Tōkyō, et le général MacArthur prenait le titre de commandant suprême des puissances alliées, au sein desquelles les États-Unis, en tant que puissance occupante, exerceront une autorité sans partage. Voir à ce sujet Ienaga Saburo, Japanâs Past, Japanâs Future : One Historianâs Odyssey, Lanham, Maryland : Rowman & Littlefield, 2001. Droits et Culture est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. On doit citer d'abord le cas du général Tomoyuki Yamashita, condamné à mort le 7 décembre 1945 et exécuté aux Philippines le 23 février 1946 ; on parle du précédent Yamashita. Le général Masaharu Honma, extradé aux Philippines, y fut également exécuté le 3 avril 1946. 7Ces trois aspects sont liés : lâhistoriographie marxiste qui devient très rapidement prépondérante dans le milieu de lâhistoire universitaire et scientifique portera le principal projet de démocratisation de lâhistoire nationale, en rendant notamment à « la nation » (par opposition à lâhistoire impériale centrée sur lâempereur comme principe fondamental de lâÃtat et de la nation) la place qui lui est due dans le roman national4. Son film raconte le Japon à l’heure du procès de Tokyo, de la reddition aux Alliés, le 15 août 1945, du décollage de l’économie nippone au début des années 1950. En effet, lâune des questions qui ont le plus préoccupé les historiens japonais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale portait sur lâanalyse de la marche vers la guerre, pour en dégager les causes et tenter de rendre intelligible aux yeux des Japonais qui lâavaient vécue le chaos de lâhistoire récente. Dans lâHistoire de Shôwa, le peuple est toujours présenté comme un acteur passif. Aux yeux dâun historien de lâécole marxiste comme Tôyama Shigeki, les « limites » du procès recoupent celles du « projet de démocratisation du Japon par lâoccupant américain »5 ayant rendu nécessaire le travail de contre-expertise effectué par les historiens de lâécole marxiste. Il estime quâen accusant la classe dirigeante dâavoir entraîné le reste de la nation dans la guerre, les auteurs simplifient la réalité de lâépoque en voulant diviser trop nettement coupables (la classe dirigeante) et victimes (le peuple, la nation). Le Parti communiste japonais (PCJ) retrouve une existence officielle avec la libération des prisonniers politiques parallèlement à lâabolition de la loi de sécurité publique. 1 Si le procès de Tôkyô se voulait un procès pour l’histoire, il peut sembler légitime de se demander la place qu’il a occupé pour les historiens japonais de l’après-guerre. La brochure publiée en 1955 par le parti démocrate sous le nom « manuels scolaires inquiétants » est elle aussi un symptôme de cette tendance. Cette évolution du traitement réservé au parti est à rapprocher de la perte de prestige que connaît le parti dans cette deuxième moitié des années 1950, gagné par la déstalinisation. Ce parallèle sâopère sur deux points principaux. Câest notamment le cas du critique littéraire Kamei Katsuichirô (1907-1966)16, dont un article critique, est resté emblématique de ce débat. Regardez la bande-annonce "Le Procès de Tokyo - saison 1 Bande-annonce VO" de la série Le Procès de Tokyo - Saison 1 sur AlloCiné AlloCiné Ex. 3Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les travaux des historiens japonais ont été marqués par trois grandes orientations. Pourquoi la nation nâa-t-elle pas eu la force dâempêcher ce drame ? »9. 24Le dernier aspect intéressant de ce débat autour de la parution de lâHistoire de Shôwa, concerne la portée accusatoire de lâouvrage, notamment au sujet du réquisitoire sans concession quâil dresse des responsabilités de guerre. Persistance de personnes au sommet de lâÃtat, au sein des cabinets ministériels, et persistance des structures de production, puisque les plus grandes compagnies japonaises ont vite retrouvé leur emprise monopolistique. Rekishika ni « sôgôteki » nôryoku o yôkyû suru koto wa hateshite iru darô ka ? » (Doutes concernant les historiens contemporains ; est-ce trop leur demander que de se montrer un peu plus « synthétiques »? Brice Fauconnier, Conversion to Fascism ? Épisode 1 47 min. 19Kamei, qui nâest pas un historien mais un critique littéraire, reproche avant tout à lâHistoire de Shôwa, ainsi quâà tous les ouvrages de lâécole marxiste, un style littéraire quâil juge médiocre et trop technique, en le comparant dâailleurs aux notes dâun procès, ce qui recoupe le rejet global que ce type dâintellectuels anciens complices du régime ont fait du procès de Tôkyô. On peut en dégager trois : les problèmes liésau style de lâhistoire scientifique, lâamalgame entre la méthodologie des auteurs et les présupposés idéologiques de lâHistoire de Shôwa, et enfin le problème de la portée accusatoire de lâouvrage, câest-à -dire la critique du tableau des responsabilités de guerre brossées dans lâHistoire de Shôwa, et à travers elles, des culpabilités établies par le procès de Tôkyô lui-même. Par lâampleur des sujets abordés, cet ouvrage a marqué une étape importante de lâhistoriographie japonaise sur cette période cruciale de lâhistoire nationale couvrant lâavant et lâaprès-guerre. Le terme est utilisé ici au sens que lui donne lâoccupant américain, qui a très vite pointé du doigt lâhistoire enseignée jusquâalors au Japon comme un des rouages essentiels de lâendoctrinement du régime militariste. 7 Les Partis libéral et démocrate, qui sâunissent en 1955 pour contrer le front des partis de gauche, formant ainsi le Parti libéral-démocrate, qui garde ensuite le pouvoir de 1955 à 1993, puis de 1997 à 2009. Ecarter celui-ci permet aussi dâéviter la question de la responsabilité de lâempereur et lâimmunité dont il a bénéficié. Il est relativement facile pour Tôyama de montrer que les critiques de Kamei ne sont pas aussi neutres quâil voudrait le faire penser, puisquâelles épousent un changement dans lâéquilibre politique du Japon au milieu des années 1950, avec le retour au pouvoir dâune frange dure des conservateurs japonais. Pour mieux appréhender la portée effective des décisions du Tribunal militaire international pour lâExtrême-Orient, il peut être utile dâévoquer les problèmes politiques et scientifiques que lâécriture de lâhistoire nationale a posé au Japon dans la même période. Hiros… En effet, la nouvelle dérive conservatrice du régime au Japon après la fin du procès et au tournant des années 1950, et la menace quâelle fait peser à leurs yeux sur la démocratie japonaise, ont signé pour ces historiens lâéchec du projet démocratique de lâaprès-guerre. Pour les auteurs, cet aspect de la marche vers la guerre est indissociable des limites de la démocratie exposées plus tôt : câest la nécessité pour le capital dâasseoir une domination impériale sur les régions voisines de lâAsie orientale qui a permis à lâarmée de prendre lâinitiative sur le plan de la politique internationale, et dâasseoir par conséquent son influence à lâintérieur du pays. 29En effet, une des plus grandes limites de lâHistoire de Shôwa touche à sa conception de la nation japonaise comme une pure victime des agissements de la classe dirigeante. LâHistoire de Shôwa étend cette culpabilité dans le temps, en pointant la persistance des structures criminelles au sein de lâÃtat japonais dâaprès-guerre. 23 Oguma Eiji, Nihonjin no kyôkai â okinawa, aïnu, taïwan, chôsen, shokuminchi shihai kara fukkiundô made (Les frontière des Japonais â Okinawa, Aïnous, Taïwan et la Corée, de la domination coloniale aux mouvements de retour au pays), Shinyôsha, 1998. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/proces-de-tokyo/, Encyclopædia Universalis - Contact - Mentions légales - Consentement RGPD, Consulter le dictionnaire de l'Encyclopædia Universalis. Ce débat permet de mieux comprendre les conditions dans lesquelles sâest inscrit ce projet dâécriture dâune histoire nationale récente dans le Japon des années 1950, ainsi que le rapport entre lâanalyse historique des causes de la guerre et la mémoire collective nationale à la même époque. Dès le 6 septembre 1945, le programme politique défini pour l'immédiat après-guerre […] Senkyûhyakugojû nendai ni okeru shigakushiteki bunmyaku no saiteii » (La naissance de lâHistoire de Shôwa ; reconfiguration du contexte historiographique des années 1950), in Ãkado Masakatsu, Showashi ronsô wo tou â rekishi wo kijutsu suru koto no kanôsei (Le débat surLâhistoire de Showa en question - de la possibilité de la description historique), Nihon keizai hyôronsha, 2006.
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